L'Archer avait de la suite dans les idées et il le prouva bien assez vite en exposant la suite des opérations qu'il avait prévu à Yang, ainsi que quelques précisions vis-à-vis de ce qu'il avait pu dénicher sur les îles célestes. Plusieurs informations étaient assez délicates, sensibles et alarmantes, notamment la présence des Decimas qui semblaient vouloir mettre la main sur des Ponéglyphes. Le vieillard, pesamment, leva une main jusqu'à sa barbe qu'il parcourut distraitement tout en réfléchissant à ce que Ghetis venait de lui dire. Le Monarque continuait à mettre la main avidement sur ces pierres ancestrales, à la recherche de quelques secrets qu'il valait mieux taire à tout jamais... Et à ce titre, maintenir une présence féroce de la Marine sur les Mers Blanches pouvait s'avérer pertinent. Le fait de bloquer totalement l'accès à cette partie du monde relativement inaccessible pouvait également se montrer efficace, et l'Étoile le concevait sans peine. Avoir au moins une mer sur laquelle leurs ennemis ne pouvaient pas s'insinuer, c'était la certitude d'avoir un bastion où demeurer si les choses se corsaient et que la guerre échappait à leur contrôle. C'était également la certitude d'avoir des renforts en grand nombre, au fur et à mesure que les vagues de recrutement successives portaient leurs fruits... L'apparition des Constantinistes au sein de l'armée avait permis au Gouvernement Mondial de connaître un second souffle bienvenu afin de restaurer leurs effectifs, et le fait de compter sur les anges était peut-être le meilleur moyen d'enfoncer le clou irrémédiablement. En bref, le Thalassa en lui-même ne voyait aucune raison d'empêcher le vice-amiral de mener ses objectifs à leur terme. Toute cette affaire pouvait effectivement leur sourire, même si rien n'était gagné, a fortiori si Centes et ses sbires souhaitaient également avoir la mainmise sur cette partie du globe... Allaient-ils devoir livrer bataille contre les Decimas pour obtenir gain de cause ? Non sans gravité, le vieil homme prit finalement la parole, articulant avec lenteur comme s'il voulait peser le moindre de ses mots.

-Je ferai en sorte d'évincer le colonel. Il sera rétrogradé au rang de soldat et expédié sur l'une des Seas Blues, sans doute, afin de servir l'effort de guerre. Quant au reste, je ne peux rien garantir, et j'imagine que vous en avez conscience. Je ferai néanmoins parvenir cette demande aux cinq officiers concernés.

Cela serait-il suffisant ? Difficile à dire. Même s'il était auréolé d'un prestige indéniable, Yang n'était pas le maître absolu et incontesté de la Marine : ce rôle revenait à Chairoka et même si elle était tenue d'obéir aux directives des Cinq Étoiles, il ne pouvait pas s'engager personnellement pour disposer de ses subordonnés comme il l'entendait. Une autre idée, cependant, fleurissait progressivement dans l'esprit du vieil homme. La présence Decima était préoccupante... D'autant plus que c'était l'un des rares océans, avec le Nouveau Monde, où la présence du Gouvernement Mondial n'était encore que très modeste, discutable. Mis-à-part quelques Marines, il n'y avait pas grand chose qui puisse se manifester en cas de pépins. D'où la proposition que Yang en vint à prononcer, toujours plongé en pleine réflexion.

-Une succursale de l'AOI pourrait également être installée. Une poignée de bas officiers pourraient s'y trouver dans le but de surveiller la Mer Blanche et d'intervenir promptement en cas d'apparition des Decimas. Il ne s'agirait pas de soldats extrêmement compétents, mais ils pourraient dans un premier temps aider à former les nouvelles recrues... Ils n'auraient qu'à redescendre si leur présence est nécessaire ailleurs, et si Centes semble avoir abandonné l'idée de conquérir les îles célestes.

En gros, il s'agissait simplement de laisser quelques membres de l'AOI en stand by, le temps que la situation soit éclaircie et qu'on en sache davantage quant aux motivations du Monarque et quant aux déplacements de ses sous-fifres. Selon le déroulement de la guerre, ces membres de l'institution Anti-Decima risquaient fort d'être appelés ailleurs, mais s'ils pouvaient toutefois aider Ghetis à former une poignée de nouveaux combattants, c'était toujours cela de prix et c'était d'autant plus sécurisant, du point de vue de Mariejoa. Restait l'ultime proposition de l'Archer, qui concernait cette fois-ci Kaiten-Su : mener un assaut afin d'éradiquer ce bastion de la Révolution. Une telle manœuvre pouvait être assez aisément menée à bien pour quiconque en possédait les moyens, le plus pénible étant encore l'hypothétique arrivée d'Erwin Dog et des représentants de son propre mouvement, en guise de renforts... Raser cet ultime bastion révolutionnaire de Grand Line, c'était libérer la Route de tous les Périls de l'influence néfaste de ces criminels. Certes, cela pouvait permettre à Erwin et à Eken Sor de fortifier leurs propres domaines, mais ces deux gamins étaient pour l'heure toujours moins dangereux que le stratège calculateur Kichiko Jonas. Si ce dernier décidait de passer à l'action, en effet, il risquait fort de promptement incarner un problème imposant... Il était grand temps de mettre un point final à sa petite carrière prometteuse, en d'autres termes. D'autant plus que cela aurait le mérite de décourager les civils qui songeaient éventuellement à s'en retourner grossir les rangs de ce mouvement moribond, en rappelant à la face du Monde que le Gouvernement Mondial disposait des ressources militaires nécessaires pour l'annihiler du jour au lendemain, d'un vulgaire claquement de doigts...

-Quant au fruit du démon... Cela ne m'évoque rien, en l'occurrence, mais je suis loin d'être un expert en la matière. Je tâcherai de me renseigner, même si je ne garantie aucun résultat...

La traque aux malédictions était surtout une affaire de chance, voire de miracles. Il était rare de parvenir à mettre la main sur l'exemplaire rêvé de ces fruits maudits d'un coup d'un seul : certains passaient parfois toute leur damnée existence à tâcher de retrouver la trace d'un fruit en particulier, en vain... Ces fruits pouvaient être déjà consommés, aussi bien par une grande tête que par un inconnu, ou même par un animal. Ils pouvaient être coincés sur une île égarée, aux confins du Nouveau Monde, ou stockés dans les coffres des mouvements criminels les plus redoutables du globe. Baser une traque sur une absence d'informations complète était donc complexe... Y compris pour une famille aussi influente que ne l'étaient les Thalassa eux-mêmes. Finalement, le vieil homme tâcha d'achever cette suite de propositions en reprenant calmement.

-Tout est convenu ? Je vous ferai parvenir les réponses par escargophone au moment voulu, si tel est le cas.

-Je ne peux pas vous promettre l'exclusivité de la régence sur les Mers Blanches. C'est à l'Amirale-En-Chef qu'il appartient de répartir ses troupes comme elle l'entend. Je ferai toutefois en sorte d'appuyer généreusement votre candidature. Compte tenu de vos mérites, et de la situation géopolitique globale, j'imagine toutefois qu'elle n'y verra pas le moindre souci.

C'était même tout le contraire, théoriquement. Chairoka allait littéralement sauter sur l'occasion. Si un marine se portait volontaire afin de devenir responsable de cet océan, et si elle n'avait pas à dépêcher sur place l'un de ses brillants conseillers directs, elle allait certainement accepter cette faveur sans poser la moindre question. C'était tout bénéfices, de son côté : elle n'aurait pas à s'encombrer l'esprit de cette mer lointaine, et pourrait toutefois compter sur un appui de taille, au fil des ans. Les soldats qui allaient grandir au sein des anges finiraient tôt ou tard par grossir les rangs du Gouvernement Mondial... Et si les îles célestes étaient constamment surveillées, s'il n'était pas possible de s'y inviter puisque les principaux passages étaient scellés, alors Ghetis Archer n'aurait pas besoin de conserver des dizaines de milliers de soldats en faction, qui risquaient de s'irriter à force d'inactivité et d'oisiveté. Les militaires avaient généralement grand besoin de se dépenser dès lors qu'ils avaient goûté à l'adrénaline des conflits... Laisser une armée immobile jusqu'à nouvel ordre, c'était prendre le risque de générer des contestataires, voire des renégats et des crapules en tout genre. En somme, si Ghetis prenait toutes les responsabilités et qu'il en découlait tout de même de bonnes conséquences du point de vue de l'amirauté, Asya Lida serait ravie et comblée de voir son subordonné s'occuper de cette tâche en son nom... Les plus grandes demandes du vice-amiral avaient donc toutes été d'ores et déjà traitées. Les résultats concrets lui seraient communiqués en temps et en heure, comme à l'accoutumée, dans l'optique de lui permettre de reprendre ses opérations sur le terrain aussi rapidement que possible. Ne restaient plus qu'une poignée de questions subsidiaires sur lesquels aboutir à un accord, et le Thalassa entendait bien s'y pencher progressivement.

-Aston Finley recevra donc cette demande et ces informations dans les plus brefs délais, également. J'imagine que lui ou l'un de ses subordonnés vous joindront personnellement pour trouver un terrain d'accord, puisque Chairoka risque fort de vous délaisser toutes ces tâches-ci en même temps que le reste des responsabilités. Quant aux deux autres demandes... J'imagine que cette fois-ci, c'est plutôt la Section Scientifique qui pourra vous prêter main forte.

Une armure et un système de brouilleur... Rien de bien farfelu, du point de vue de Yang. S'il n'avait jamais été très friand des apparats et des attributs défensifs, il concevait néanmoins que ce genre de carapaces sur-mesure pouvaient s'avérer salvatrices, selon les compétences et les particularités des ennemis que l'on devait confronter. Quant au système de brouillage, en revanche, son utilité était toute trouvée et, pour le coup, effectivement judicieuse. Erwin Dog n'était, selon les rumeurs qui courraient à son sujet, pas un formidable guerrier. On ne lui accordait en tout cas pas assez de faits d'armes, à ce titre... En revanche, son pouvoir en faisant une arme à part entière qui, entre les mains d'un stratège performant, pouvait abattre la calamité sur toute une armée trop peu précautionneuse. Brouiller les communications adverses, c'était rappeler au rouquin qu'aucun pouvoir n'était infaillible... Et qu'avant toute autre chose, ce qui dictait le résultat d'une guerre, c'était l'information qui filtrait ou qui s'absentait, plus ou moins vicieusement. Dans tous les cas, l'une comme l'autre demandes ne lui semblaient pas disproportionnées. Restait à savoir ce que l'Archer allait pouvoir obtenir : le message serait communiqué aux rangs de la section, mais la réponse, là encore, leur appartenait. Yang ne pouvait pas se permettre d'organiser une réunion avec ses quatre collègues pour traiter d'un tel sujet, bien entendu, et son influence seule ne suffisait pas à accéder à ce genre de requêtes directement... Pas tout-à-fait, en tout cas.
Restait enfin la dernière demande, assurément plus anecdotique, que le vieillard accueillit avec un sourire vaguement amusé. Ghetis voulait se confronter à Shang ? Dans l'optique de mesurer la force des Thalassa, sans nul doute... Une demande courageuse. S'il n'avait pas été capable de vaincre Kokuwo Makui, Yang l'aurait même potentiellement jugée présomptueuse... Mais le vice-amiral avait déjà su démontrer sa force, et l'ancêtre ne s'enorgueillissait pas assez du potentiel de son petit-fils pour envisager que nul n'avait ses chances, contre lui. Toutefois, un tel conflit saurait assurément être délectable à observer...

-Je lui passerai le mot. Ces derniers temps, il n'a eu que peu d'occasions de se défouler, à cause de sa blessure et de son nouveau bras. J'imagine qu'il sera ravi d'accéder à votre requête, lorsque l'occasion se présentera.

Shang n'était évidemment pas le plus puissant combattant que comptaient les Thalassa, mais il s'approchait sans nul doute du haut du panier. Il manquait toutefois encore singulièrement d'une certaine maturité. Il se développait encore, et avait de quoi se parfaire... Sa courbe de progression allait continuer à le porter au-delà de son niveau actuel, c'était quasiment certain. Peut-être finirait-il par se montrer plus redoutable que son père et ses oncles ? Il avait encore un long chemin à parcourir, mais cette finalité n'était pas nécessairement risible et irrationnelle. Après tout, il avait déjà dû se rapprocher dangereusement du niveau de Vang, puisque ce dernier n'avait plus livré bataille depuis quelques années déjà... Restait à estimer le niveau de Ghetis, au sein de cette échelle plus ou moins pyramidale. Une énigme qui demeurerait peut-être intacte encore quelques temps...

-Très bien, vice-amiral. Bonne continuation. Vous serez contacté dans les plus brefs délais.

Voilà qui était réglé. Yang posa un regard serein et scrutateur sur Ghetis tandis qu'il s'en allait, quittant la salle de réunion peu de temps après le reste du groupe de soldats ayant été investir le siège de Mars. Avec la mort de Kokuwo Makui, c'était un allié fiable et redoutable que Centes Decima avait perdu... Ce ne serait pas suffisant pour le précipiter à sa perte, assurément, mais c'était déjà un gain indéniable pour le Gouvernement Mondial qui avait de la sorte pour réparer l'opprobre née de la désertion de cet ancien officier médiatisé et réputé de part le monde. De nouveaux héros venaient de prendre sa place, plus viables et plus loyaux... Pesamment, l'Étoile quitta son propre siège, une bonne minute plus tard, puis s'en retourna dans son bureau où son fils cadet l'attendait patiemment. Il lui jeta un bref regard, mais s'accommoda bien vite de sa présence : Vang l'épaulait pour l'essentiel des affaires, désormais, et conservait son regard critique et alerte quant aux décisions de son aïeul pour l'épauler au mieux. De toutes les étoiles, le Thalassa était sans nul doute celle qui prenait le plus garde à ne pas commettre d'impair en s'entourant de personne de confiance... Ses descendants et héritiers en faisaient évidemment partie. Vang n'était que l'un d'entre eux : Rang, lui aussi, n'allait pas tarder à s'en revenir à Mariejoa où il allait certainement demeurer en faction jusqu'à ce que le mariage de Shang soit célébré. Voilà qui allait offrir à la Cité Sainte une force de frappe considérable... Et c'était en grande partie pour cela que l'ancêtre était persuadé du fait que nul ne pouvait nuire au bon déroulement de la cérémonie en elle-même. Les événements sur lesquels il focalisait toute sa pensée étaient plus tardifs. C'étaient sur ceux-là qu'allaient déboucher toutes les précautions prises et toutes les actions menées à leur terme. La chose était au moins aussi sérieuse et grisante que la fin d'Arias D. Knightwalker ayant eu lieu à Baltigo : il était grand temps de se débarrasser d'un autre de leurs ennemis mémorables, afin d'enfin faire respecter la volonté de l'omnipotent Gouvernement Mondial.

-Vang. Contacte ton frère. Dis-lui que l'escorte leur parviendra bientôt. Qu'il prenne garde. Les jours à venir seront les plus périlleux.
-J'y vais de ce pas.

Tandis que son cadet s'éloignait d'un pas franc et décidé, Yang, quant à lui, se positionna pesamment sur son fauteuil et jeta un regard en biais au jeu d'échec disposé dans un coin de la salle. Il était sans nul doute l'Étoile la plus active, actuellement : il avait dû contrebalancer les pertes des effectifs de la Marine en envoyant sur le terrain sa progéniture et ses alliés eux-mêmes. Cela serait forcément tôt ou tard amené à changer, néanmoins... Certains de ses collègues allaient avoir un rôle prédominant dans les guerres à venir. Ses propres enfants allaient peut-être devoir s'orienter vers les troubles qui risquaient d'agiter le Nouveau Monde, en fin de compte... Mijushike Hojo était un homme brillant, doublé d'un combattant compétent, mais il n'en était pas moins assez isolé au milieu des territoires aux mains des apparatchiks révolutionnaires et des Empereurs Pirates. Si tout se passait comme le Gouvernement Mondial pouvait l'ambitionner, les Seas Blues, la Mer Blanche et la première partie de Grand Line seraient bientôt sous domination quasiment absolue de leurs institutions principales... Ne resterait dès lors plus qu'à faire respecter le décret Decima au sein de la dernière mer, la plus incontrôlable et la plus funeste d'entre toutes. Un grognement rauque s'éleva dès lors, trahissant la lassitude du vieil homme qu'il avait à force de livrer des batailles dont les conséquences et les tributs étaient sans cesse plus élevés. Il était un parangon de la sagesse et de l'intelligence... On disait de lui qu'il était un exemple de dévouement, qu'il avait octroyé sa vie à la grandeur du Gouvernement Mondial, et qu'il était le responsable de la paix fébrile à laquelle les peuples du monde entier tâchaient de se raccrocher. Pourtant, les insectes pullulaient toujours davantage, menaçant de gangrener leur système sociétal certes imparfait, mais permettant la vie tranquille de la majorité. Arriverait-il un jour à leur faire ployer le genou, à tous ? Ou finirait-il par expirer son dernier soupir avant d'y parvenir ? Une question qui, ces derniers temps, n'en finissait plus de le hanter. Il ne se sentait pas encore mourir mais le poids des années se trouvait être de plus en plus accablant. Son corps s'émoussait déjà. Que ferait-il, lorsque ce serait le tour de son esprit ? Ses collègues, ses alliés et ses enfants pourraient-ils survivre à sa disparition ? Il devait s'assurer autant que possible que la réponse à cette énigme était positive. Pour le salut de ce qu'il avait constitué de son vivant, a minima...

D'une main lourde, l'ancêtre vint attraper le combiné qui trônait sur son bureau. Il avait quelques appels à passer... Les Mers Blanches étaient un axe audacieux sur lequel tabler leurs futures opérations. En les offrant à Ghetis Archer, il se délestait d'un poids conséquent. Il avait pleine confiance en ce vice-amiral impétueux et bruyant... Restait à savoir si c'était fondé.